Éric Skelton
« Un artiste ne peut attendre aucune aide de ses pairs », a conclu l’écrivain Jean Cocteau. Ce qui est loin d’être le cas de Steven Brunelle, un peintre de Lafontaine qui bénéficie d’un réseau grandissant d’admirateurs, d’acheteurs et de mentors.
En une première semaine d’exposition au centre culturel de Midland, les visiteurs l’ont appuyé avec l’achat de dix des 16 œuvres acryliques sur toile qu’il présente jusqu’au mois de juillet.
Bien qu’il démontrait un certain intérêt pour l’art visuel, il relie sa vraie formation à une éducatrice de l’école secondaire Le Caron. « Je gage que j’ai toujours été artiste depuis mon enfance, mais je n’ai pas pris un cours d’art avant la 11e année».
« C’est là que mon prof d’art Michelle Hackstetter m’a convaincu que je pourrais devenir un bon artiste. Parfois, j’entends encore sa voix dans mon imagination dire « Bravo, Steven », car c’est ce qu’elle disait lorsqu’elle voyait du talent d’artiste en moi ».
En dépit de son amour pour la peinture, il a occupé un poste de travailleur conventionnel la majorité de sa vie jusqu’à l’arrivée de la Covid. Confiné à cause de la pandémie à l’âge de 56 ans, il a pu se vouer de nouveau à sa passion afin de produire les œuvres exposées présentement à Midland.
C’est le mot fusion qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on contemple l’ensemble des toiles de M. Brunelle, qui occupent une salle réservée à l’art autochtone du centre culturel de Midland. Chaque regroupement d’éléments qui se retrouve sur les toiles est une fusion de formes célestes, d’animaux, de plantes et d’eau que l’on associe avec la baie Georgienne.
M. Brunelle est lui-même issu de diverses cultures, étant le fils d’une mère de la nation Algonquine au nord d’Ottawa et d’un père francophone dont la famille remonte à cinq générations de Lafontaine.
Même s’il parle avec modestie, ses créations sont audacieuses, un assemblage de formes organiques, fortes en contraste et denses en teintes vives. Il joue avec la proportion en donnant à chaque image un grand noyau, comme un soleil, qui fait naître des formes, tel qu’un loup, qui évoluent tout en restant fusionnées à jamais avec le parent. L’univers de M. Brunelle est donc complexe, mais unifié. Selon ses oeuvres l’homme, les astres et la nature ne font qu’un.
Par ailleurs on y voit jaillir des silhouettes de pins penchés dont les branches sont allongées par le vent, forme emblématique de cette région et icône fort appréciée par les impressionnistes canadiens du 20e siècle. Une telle complexité implique un travail ardu. En effet, chaque toile représente en moyenne 80 heures d’ouvrage.
Il a aussi incarné l’abstraitisme du peintre espagnol Pablo Picasso, qui a dit « je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense ».
Steven s’est inspiré de toute une gamme de méthodes alors qu’il cherchait la sienne. On perçoit d’abord l’influence de l’école nommée Woodland qui est associée avec Norval Morriseau, surtout dans les capsules en formes de faune et de flore tracées en noir, chacune remplie à son tour par d’autres éléments plus petits et plus nombreux. Comme dans les toiles du maître du Groupe Indien des Sept, M. Brunelle ajoute des éclats et des mèches qui rayonnent de certaines formes et en réunissent d’autres.
Plusieurs de ses tableaux sont des représentations explicites de légendes traditionnelles et de thèmes spirituels, et certains d’entre eux sont accompagnés d’une étiquette décrivant le mythe particulier qui est en jeu. La toile Manitou, par exemple, représente une des croyances de la nation de sa mère, selon laquelle une force invisible réunit la nature et influe sur le destin des humains.
Dans d’autres cas, l’inspiration particulière est à deviner, selon une citation sur le mur qui est attribuée à John Hartman. Ce dernier est un artiste célèbre de cette région qui, dans les écrits sur cette exposition, témoigne du talent de son collègue de Lafontaine et appuie son cheminement auprès du public.
« En tant qu’amateurs (de l’œuvre de M. Brunelle) nous reconnaissons qu’une histoire est racontée par chaque peinture, mais nous devons naviguer à travers chacune afin de la découvrir ».
Pour sa part, Michelle Thibodeau, chef de promotion et marketing du centre culturel, souligne que ce même espace d’exposition est réservé à jamais aux artistes autochtones, et qu’un comité veillera à ce qu’il soit bien employé. Le centre est déjà en train de passer en revue plusieurs candidats pour prendre la place de M. Brunelle en juillet.
La richesse culturelle des environs de la baie Georgienne facilite beaucoup la tâche, raconte-t-elle.
« La culture de cette région est si animée, et il y a tant de communautés qui se rassemblent. C’est ça aussi qui fait de cet endroit une si belle place à vivre ».
Dans la photo: Steven Brunelle de Lafontaine pose près d’une de ses oeuvres d’art présentement en exposition au centre culturel de Midland jusqu’en juillet prochain.