«Tant à dire! Tant à écrire!» Cécile (Marion) Robitaille

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Joëlle Roy

            Cécile est la fille d’Élizé Marion et d’Année Gravelle. Les Marion habitaient la 18e concession. Son frère Célestin habite toujours dans la maison paternelle. Cécile est la plus jeune des quatre enfants. Sa mère est décédée alors qu’elle n’avait que six ans. Madame Marion souffrait entre autres de rhumatisme et comme il n’y avait pas grand-chose pour le mal, elle est partie à bout de souffrance. Année n’avait que 42 ans. La plus vieille de la famille, Jeanne, est devenue la mère du haut de ses treize ans. 

            Cécile a fréquenté l’école Laurin puis l’école secondaire de Lafontaine. Elle souhaitait devenir maîtresse d’école mais ses études ont pris fin après la dixième année. Il y avait une bonne sœur qui enseignait la géographie. Ce n’était pas le sujet le plus fort pour Cécile et l’enseignante ne manquait pas une occasion de lui rappeler. En fait, elle avait une aversion pour les élèves de la 18e. Elle les appelait «les créfins de la 18». Quant à Cécile, elle se faisait traiter de têtue comme si sa difficulté était dûe à un entêtement. La chipie l’a harcelé à un tel point qu’à la fin de la dixième, Cécile se dit que si celle-ci lui enseigne encore l’année suivante, elle lâchera ses études secondaires. Elle a donc dû quitter car les chipies, à cette époque, avaient le bon bout du bâton et elles ne quittaient que pour la retraite. Le cas de Cécile n’était pas isolé. Un ami de classe, lui aussi ‘’créfin de la 18’’, a laissé l’école pour la même raison. L’humiliation a ses limites.

            À quinze ans, elle se retrouve à la maison pour aider aux tâches quotidiennes. D’ailleurs, sa sœur Jeanne est maintenant mariée. Même si elle est tout à fait capable de tenir maison, son père s’inquiète qu’elle se brûle en faisant du feu. Pourquoi? Notre Cécile est toute courte. Quatre pieds dix pouces, ce n’est pas beaucoup pour mettre des buches du haut du rond du poêle. Elle mesure maintenant deux pouces de moins avec le poids des années.

            Les Marion avaient une petite terre de soixante arpents. Avec quelques animaux et un jardin, on s’en sortait assez bien. L’hiver, sa sœur aînée, Jeanne, revenait au bercail avec son époux, Arsène Robitaille, puis l’année suivante avec un petit garçon appelé André. C’est à cette époque que Cécille rencontre le jeune homme qui deviendra le sien. Il y avait les danses au Bay Breeze, de l’autre bord de la baie, où le groupe de Gilbert Robitaille jouait avec Anne Dupuis au piano. Comme dit la chanson : «du fun y’en avait»! Son Gabriel dansait bien les sets carrés.

            Cécile et Gabriel se sont fréquentés pour un an et demi et ont prononcé leurs vœux de mariage à l’église de Lafontaine devant le Père Marchildon. Il faut dire qu’ils se connaissaient déjà même si Gabriel avait cinq ans de plus. Cécile confie qu’à l’école de Laurin, elle l’avait dans l’œil quoiqu’il n’en savait rien. À la petite école, cinq ans, c’est une éternité. 

            Gabriel était le fils d’Angelina Boucher et du fameux Trefflé Robitaille, personnage légendaire pour ses chansons et ses histoires. Gabriel est le quatrième des six enfants du premier lit. Après le décès de sa première femme, Trefflé se remariera avec Marianne Berriault. Elle a été une bonne mère pour les petits tout comme Angelina Boucher, sa première épouse.

            Les jeunes mariés ont habité une multitude de différentes adresses. À tel point, que nous n’avons pas entrepris d’en dresser la liste. Disons que pour douze ans, on se déplace au gré du vent des événements. Plusieurs adresses à Lafontaine, une à Penetanguishene et deux à Midland. On frappe finalement un mur quand l’ainée Angélina se retrouve dans une école anglaise à Midland parce qu’il n’y a pas d’autobus pour la conduire à l’école française la plus proche.

C’est donc en 65 que le jeune couple achète la maison de Philibert Robitaille au 308 du chemin Lafontaine ouest, où elle habite encore avec son fils Hubert. Ils avaient épargné une partie des 4 500$ que coûtait leur nouvelle demeure. Cécile était déterminée de ne plus bouger. La famille grandit et la stabilité s’impose. 

            Gabriel a attaqué différents boulots. Il a été camionneur pour Wilfrid McNamara qui habitait de biais. Entre autres, il transportait des animaux à Toronto. Puis il a travaillé à Bay Mills, manufacture de moustiquaires à Midland. Enfin, il mettra les mains à la pâte pour Pillsbury, toujours à Midland, où il passera six ans à garder la manufacture propre. 

            Gabriel avait un frère dans la 17 : Albert. Il allait lui aider avec les travaux de sa terre. C’était le cas, le 2 juin 1969. Les deux frères s’en allaient au champ après le dîner avec chacun leur tracteur quand celui de Gabriel se retrouve dans le fossé en culbutant de sorte qu’il s’est retrouvé pris mortellement sous le véhicule. Il n’avait que 39 ans. La plus vieille, Angélina avait treize ans et le bébé, Hubert, six mois.

            C’est une tragédie pour la famille et pour tout le village. Cécile se souvient encore de l’appui et de la compassion communautaire ainsi que du gros ragoût que madame Urbain Maurice a apporté. Avec la maison pleine d’enfants, la vie continue même si le cocon familial est brisé définitivement. On s’en sort avec une pension de veuve, une aide timide des services sociaux et surtout avec une tonne de débrouillardise. Le jardin et son cannage prennent toute leur importance. Cécile a canné tout ce qui se canne. Son record : 400 pots!

            On n’a manqué de rien malgré cette peine omniprésente. Cécile dissimulait sa peine et la laissait sortir le soir, loin des petits yeux, pour ne pas les attrister. Les enfants devaient en faire autant…

            L’année suivante, elle apprend à conduire car dépendre sur les autres pour la moindre sortie, ça fait son temps! Sa grandeur est un défi pour rejoindre les pédales. Son premier Ford était automatique. 

            Le bonheur de rester au village c’est que les enfants peuvent marcher à l’école et venir dîner à la maison. Cécile préférait préparer un repas que de préparer des boîtes à dîner. Quand Hubert a atteint la 8e année, Cécile commence à travailler à l’extérieur. Elle est embauchée par French Dry Cleaning à Penetanguishene. 

            Les filles étaient assez grandes pour préparer le souper avant que maman rentre du travail. Exilda, qui était au secondaire, mettait la viande au feu en arrivant de l’école. Puis Rita, aussi au secondaire, épluchait les patates et enfin Angélina mettait les morceaux ensembles en ajoutant une sauce ou quoique ce soit qui complétait le menu. Cette dernière travaillait dans une usine. Tout un changement pour une famille dont la mère a toujours été à la maison. Cette période durera onze ans, soit de 81 à 92.

            Cécile a bien aimé ce travail quoiqu’elle trouvait que c’était trop tranquille pendant l’été. Les gens cessaient de faire nettoyer leurs costumes et beaux habits pour s’habiller plus légèrement. Elle trouvait le temps long. Pour des gens vaillants, l’inertie est un calvaire! Heureusement, il y avait les deux semaines de vacances. Et à la fin d’août, la besogne reprenait un bon rythme jusqu’à l’été suivant.

            En 92, elle commence à travailler pour son fils, Jacques, qui a un commerce de fleurs et d’entretien de cours. Elle y travaille de juin à octobre pour vendre des fleurs et arroser, nettoyer et entretenir les plantes. Là, on ne se plaint pas de l’ennui. Le commerce de Jacques est très occupé et ses jolies fleurs se vendent aussitôt arrivées. Son commerce d’entretien a maintenant trente-huit ans, me confie la maman fière de son gars.

            Pendant l’hiver, elle garde les enfants chez sa fille Exilda. Les petits, Danielle et Allex, profiteront de la présence de leur memère pendant six belles années. 

            En 98, à 65 ans, c’est la retraite bien méritée. Elle s’occupe de sa besogne et maintenant qu’elle a plus de temps, elle joint le Club de l’âge d’or de Lafontaine où elle ira jouer aux cartes d’abord au Centre communautaire puis au Villageois. On joue au 58.

            L’article serait incomplet sans parler de la musique. Cécile a une très belle voix et son fils René, chanteur dans le groupe Passport, dit que son talent lui vient de sa mère. Pourtant, chez Élizé Marion, on n’était pas particulièrement axé vers la musique. Mais chez beau-papa Trefflé, on était équipé pour veiller tard! Trefflé jouait du violon, son fils Venar jouait la guitare, David aussi en plus de la musique-à-bouche. Elle se souvient de la fois que Francis Robitaille est arrivé chez Trefflé avec son banjo. Ils ont dansé jusqu’à l’aube. Au risque de me répéter : oui du fun y’en avait!.

            Cécile aime tout simplement chanter et elle a développé sa voix à chanter allègrement avec le poste de radio français. «Un coin du ciel» est le numéro un de son répertoire. Les enfants ont organisé une fête pour ses 80 ans. Elle a alors chanté avec René; il y a déjà sept ans! Trois ans passés, c’était pour célébrer la retraite d’Angélina qu’elle a entonné l’incontournable «Quand le soleil dit bonjour aux montagnes’’. 

                        Cécile Marion Robitaille est une très grande dame de 4 pieds 8 pouces. Celui qui a inventé l’adage «dans les petits pots, les meilleurs onguents’» devait assurément la connaître!  

Dans la photo on aperçoit Mme Robitaille avec ses enfants.