«Tant à dire! Tant à écrire!»Georgette (Marchildon) Jaiko

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Joëlle Roy    

            Nous revoici dans l’illustre clan Marchildon. Georgette, née en 1929, est la fille d’Edmond et d’Ernestine Belcourt. Edmond est le frère du Père Thomas Marchildon. Treize enfants sont issus de ce mariage et Georgette est la deuxième de cette grande famille qui habitait sur la 17e concession tout près de l’intersection du chemin de la Baie du Tonnerre. 

            Avec une maison si bien remplie, il fallait une organisation impeccable et Ernestine dirigeait la barque d’une main de maître sans jamais se plaindre ou hausser la voix après les enfants. Georgette, jeune fille, a été vite initiée aux tâches ménagères et aux soins des petits. L’élégance qu’on lui connaît pourrait venir d’aussi loin puisque la famille d’Edmond et d’Ernestine se présentait toujours sous leur meilleur jour. Papa Edmond astiquait les souliers tous les samedis pour que les petits et grands pieds brillent à la messe du dimanche. 

            Les Marchildon subsistaient sur leur terre avec un grand jardin et les conserves qui en ressortent. Edmond, de ses mains habiles, réparent la mécanique de tout ce qu’on lui confie pour gagner de précieux dollars pour sa famille. Entretemps, Ernestine décorait souvent les gâteaux de noces des gens des concessions. Les Marchildon sont de bons vivants qui s’entendent bien et Georgette a conservé, toute sa vie, des liens étroits avec ses frères et sœurs. En plus de la famille, maman Ernestine lui a fait valoir l’importance des liens amicaux avec les voisins qui sont souvent ceux, littéralement, les plus près et prêts à nous aider.

            Du bercail dans la 17e, on fréquente l’école Ste-Croix. Puis, pour le secondaire, Georgette fréquente le Continuation School pour la 9e et 10e années seulement. Pour poursuivre les études, on passera au Juvénat des Sœurs grises d’Ottawa où elle habitait. Les études se déroulent dans un pensionnat sur la rue Rideau. Cette aventure avait été initiée par les tantes religieuses du côté des Belcourt : Odille et Béatrice. 

            Mais le saut du Continuation School au Juvénat est trop vertigineux et toujours sous l’influence des tantes, on ajuste la trajectoire éducative vers une formation de «garde-malade pratique» offerte par l’hôpital St-Vincent-de-Paul dans son institution pour les incurables. Le cours s’étend sur une période de deux ans. Georgette devra faire relâche pour un an car maman avait besoin d’aide à la maison. Rappelons qu’au temps de cette formation professionnelle, Ernestine donnait encore naissance aux plus jeunes. Georgette et le cadet, René, ont vingt ans de différence.

            Comme elle excelle dans sa formation pratique, notre demoiselle Marchildon retourne graduer et sans tarder, prendra une tâche à l’hôpital général d’Ottawa pour six mois. Elle réussit à se rapprocher des siens avec un nouvel emploi à l’hôpital général de Penetanguishene. Nous sommes rendus en 49, 50 et la jeune dame entame la vingtaine. 

            Après un an de service à Penetang, on fera le grand saut à Welland pour suivre la petite sœur Béatrice qui a pris un poste d’enseignement. Georgette travaillera à l’hôpital général de Welland pour cette année scolaire car Béatrice, reviendra épouser Léonard Moreau dès la fin de cette période. Les nouveaux mariés s’installent à Toronto et Georgette utilise ce prétexte pour en faire autant. 

            Une nuance s’installe dans sa pratique médicale. Elle entreprend un poste dans un manoir pour personnes âgées au coin du chemin Avenue et St-Clair pour quelques années. C’est dans cette période que le beau Roger Yaroslaw Jajko fait son entrée en scène . Il substituera le «j» du milieu de son nom pour un «i»un peu plus tard. Pour un coup d’œil sur ce jeune homme, il faut regarder du côté du petit fils Zacharie Marchildon, fils de Monique, qui lui ressemble.

            Une copine de Perkinsfield, invite Georgette pour aller danser au Royal Palace afin de célébrer la St-Patrick. Roger y était, récemment arrivé de France, avec un parler anglais fragile, alors ravi de faire la connaissance d’une francophone. D’origine ukrainienne, Roger avait complété ses études et le service militaire en France et l’atterrissage canadien, à l’âge de vingt-huit ans, se vivait avec quelques peines. 

            Les deux jeunes personnes s’amourachent et rapidement on échange les bagues et l’aventure Jaiko-Marchildon est propulsée pour le meilleur, surtout! L’union sera consacrée en l’année de grâce 1953.

            Les parents Jajko habitent Toronto où on y retrouve aussi quelques cousins ukrainiens. Roger a aussi un frangin. Roger est un machiniste qualifié mais il a quelques soucis à trouver du travail à la hauteur de ses capacités. Avant de rentrer chez De Havilland Aircraft, il devra laver quelques planchers d’hôpitaux. 

            Précisons son métier. Il est machiniste et éventuellement il acquiert le titre de «millwright», dont la traduction n’est pas évidente. Il s’agit d’un monteur-ajusteur qui parfois, fabrique des moules ou encore travaille sur un chantier de production. Si la traduction est hasardeuse, il est évident qu’on ne parle pas de changement d’huile… 

            Ces premières années à Toronto verront naître trois des quatre bambins : Claudette, Alain et Denise. À l’époque, il n’était pas évident pour un Canadien-français d’avancer professionnellement à Toronto, alors imaginez pour un Français de France! Disons que l’avancement était limité. 

            Après seize ans pour De Havilland, Roger tire sa révérence et les Jaiko effectuent un virage de 180 degrés pour aller s’installer à Como, à l’ouest de Montréal, près d’Oka et du lac des Deux Montagnes. La nouvelle aventure consiste à prendre en main un grand hôtel avec salle de réception et de multiples chambres à louer. Georgette, pour qui rien n’est à son épreuve, devient «bartender», femme de chambres et serveuse. La prise en charge de ce commerce se complique et comme ça ne tombe pas en place, on rembarque les cliques et les claques pour revenir dans leur bungalow de Toronto. Nous sommes à l’orée des années soixante. 

            Lors de ce premier retour en Ontario, la petite Monique s’ajoute comme nouvelle cadette de la famille. La tentative d’une vie au Québec sera renouvelée quand Roger obtient un poste pour la compagnie Canadair. On retourne dans la métropole québécoise alors que le Québec est en pleine révolution tranquille et que ce cher Général De Gaulle vient lancer cette expression qui fera trembler la francophonie : «Vive le Québec. Vive. Le. Québec. Liiiiiiibre!». L’époque des «maudits français» s’en trouve enflammée. Donc le passage à Montréal, pour un immigrant français avec un accent pointu, ne sera pas aussi plaisant qu’on aurait pu l’imaginer. Le passage à Canadair s’effrite après un an.

            Le frère Jajko est déjà à Montréal alors on se joint à son commerce de camion de bouffe mobile. Ces camions alimentaient les travailleurs dans les grandes manufactures. La nouvelle entreprise devient une affaire de couple. Georgette en fera des sandwichs de toutes sortes, des fèves au lard et des plats chauds. Beaucoup de travail pour bien fournir ces camionnettes. Car, bien sûr, on ne se contente pas d’un seul camion. Il y en aura jusqu’à trois. On est à Fabreville, qui est maintenant un quartier de Laval.

            En cette année de l’Expo 67, une famille ontarienne qui aboutit à Montréal ne vivra pas une rentrée scolaire tout en douceur. On n’accepte pas Claudette à l’école française. Elle devra commencer son secondaire en anglais dans la métropole québécoise! 

            Et pour la première fois, on décide d’élire domicile dans la Huronie natale de Georgette. Le temps de trouver le nid, on passera un été à la baie du Tonnerre dans un chalet de papa Edmond. Enfin, on trouve une maison sur la rue Fourth tout près de Hugel. C’était l’ancienne maison du grand photographe J.W. Bald.

            À Midland, inévitablement, les enfants fréquentent des écoles anglaises. Georgette et Roger participent à d’innombrables réunions, sous la gouverne de Roland Desroches, pour que des autobus permettent aux enfants d’être transportés vers les écoles françaises avoisinantes. L’année suivante, l’autobus conduit les plus jeunes, Denise et Monique, vers l’école St-Joseph de Penetanguishene. On perçoit la fibre qui alimentera plus tard la petite Denise à écrire au gouvernement pour demander l’éducation secondaire dans sa langue maternelle.

            On passera quatre ans dans la maison de la rue Fourth de Midland. Puis la nature interpelle Roger qui désire vivre sur une ferme. À ce temps-là, il est machiniste chez Weber Tool and Mold. Sa santé est bonne malgré quelques malaises cardiaques. C’est donc en 1972 que la famille Jaiko aménage sur la ferme de la onzième concession près de Perkinsfield. On achète la ferme de Bert Desroches mais ironiquement, cette résidence avait déjà été celle de l’arrière grand-oncle de Georgette, c’est-à-dire Louis Belcourt.

            Georgette puisera dans ces ressources de l’enfance pour cultiver, entretenir et soigner le bétail. On se lance dans l’élevage des lapins qui seront vendus à une famille italienne de Churchill, Ontario. Avec cent acres de terre, il faut «faire les foins».  Et bien sûr, il est inconcevable d’avoir autant de terre sans cultiver un immense jardin.

            On aperçoit des vaches dans la cour des Jaiko; elles sont engraissées pour la viande. Et papa Roger pratiquait l’apiculture. Georgette apprend facilement cette pratique et il semblerait que le miel était d’une telle qualité que le Père Marchildon, son oncle, s’en régalait et consommait exclusivement le miel Jaiko! On a entretenu jusqu’à cent ruches!

            On prendra le temps d’aller visiter la mère patrie. Roger rêvait de montrer les lieux de son enfance à sa famille. Le rêve se réalise et avec les deux aînés, Claudette et Alain qui sont adolescents, on s’envole vers l’Europe. Trois semaines à se promener sur la piste de l’enfance du papa. On passe par St-Yorre pour retracer sa petite école puis Vichy, lieu de la grande école. 

            Après Weber, Roger transfert son talent dans une usine de Penetanguishene. Georgette, elle, offre ses services à l’ancienne Villa où elle réanime sa passion de servir et de faire du bien à une clientèle tellement vulnérable qui appréciait grandement cette générosité.  

            Il faut mentionner qu’entre les emplois à temps plein, ici et là, il y avait les contrats qui nous font questionner le nombre d’heures que pouvaient contenir leurs journées. Par exemple, à Toronto, Georgette enseignait le français langue seconde. Plus tard, revenue dans la Huronie, elle enseignera des cours de français pour Alpha-Huronie. 

            Vous souvenez-vous des produits Shaklee? Georgette vendait ces produits naturels et ces vitamines jusqu’à devenir superviseure sénior régionale pour cette compagnie. Tant qu’à beurrer le pain sur les deux bords, ajoutons la Pension Huronie. Il s’agit d’un gîte du passant tenu par les Jaiko pendant dix ans. C’était l’heureuse époque des échanges France-Ontario. 

            La vie file avec son lot de défis et de petits bonheurs. Les enfants quittent le nid graduellement. Monique, la cadette, est encore autour et on prépare ses noces quand, subitement, le cœur de Roger lâche prise définitivement. Sans la voir venir, la mort vient le chercher au milieu de la cour, au milieu du jour, sous le désarroi de son épouse seule avec lui. Sans la moindre préparation, la famille doit poursuivre son cours sans l’amour paternel. 

            Et les noces de Monique et de Brad Marchildon qui sont planifiées pour trois semaines plus tard… Elles auront lieu, ces noces, car Roger y tenait tellement. L’année 1986 est charnière dans la biographie de cette famille.

            Georgette demeure à la ferme tout en cherchant un terrain pour construire une maison. En 88, on le trouve enfin ce lopin de terre dans une rue au bas de la onzième concession. La maison, construite par son frère Richard, sera la résidence où Georgette a demeuré le plus longtemps. En 95, elle épousera Jack Weaver qui demeurera là, avec elle, jusqu’à son décès en 2013. 

            La famille demeure serrée et les petits enfants viennent compléter le portrait de famille. Claudette a une fille; Alain a un garçon et une fille et quatre petits-enfants. Monique a deux fils et un petit-fils. En résumé, on compte cinq petits-enfants et cinq arrière-petits-enfants.

            Elle qui a cultivé la passion de s’occuper des autres a su donner cette piqûre à ses enfants qui se soucient d’elle dans les moindres détails. Georgette a fait de beaux voyages avec ses enfants comme ce mois passé en Europe en 2015. Comme aussi ce voyage à Vancouver où elle passera de beaux moments avec son petit frère René qui succombera au cancer l’année suivante.

            Ce qui est difficile après neuf décennies, ce sont les départs consécutifs de la plupart de ses copines. Mais Georgette demeure bien droite et regarde en avant. Après tout, le petit Félix (à Zacharie, à Monique) saura bientôt patiner. Madame Georgette Jaiko est une matriarche qui porte ce riche vécu avec grande classe!

Dans la photo:

On célèbre Georgette lorsqu’elle a eu 90 ans le 23 septembre 2019: on retrouve Claudette, Georgette, la jubilaire, Monique, Denise et en arrière, Alain.