Un joyau bicentenaire de la Huronie menacé de démolition

Partagez cet article avec vos amis!

Micheline Marchand

            Quand vous lirez ce texte, il est possible que le conseil municipal de Tiny ait effacé 200 ans d’histoire. Car c’est à sa réunion du 2 février que le conseil aura probablement scellé le sort de la maison Labatte, un des plus vieux édifices, sinon le plus vieux du canton de Tiny. 

            Lors de sa réunion du 17 janvier dernier, le comité du patrimoine de Tiny a adopté par un vote 5-2, de retirer la maison historique construite vers 1834 par Louis-Georges Labatte et son épouse métisse, Julie Grouette, du registre des structures patrimoniales. Rayer du registre cette maison des premiers habitants de la baie du Tonnerre, permet aux propriétaires du 89 West Shore Drive de poursuivre leur demande de démolition de l’édifice. 

            Si le conseil du canton de Tiny accepte la recommandation du comité du patrimoine, plus rien n’empêchera les propriétaires d’effacer un autre signe de la présence francophone et métisse à Lafontaine sans avoir entrepris de consulter la communauté qui voit son patrimoine disparaître comme peau de chagrin.

            La résolution du comité du patrimoine n’a pas été fondée sur la valeur patrimoniale de la maison Labatte. Le comité affirme avoir pris sa décision uniquement parce qu’il n’y a eu aucune députation sauf celle des propriétaires et parce que le bâtiment est en mauvais état. Comment le comité a-t-il déterminé l’état de cette demeure ?

            Il semble incompréhensible que le comité condamne la maison Labatte après encore moins de consultations et de discussions que celles consacrées à sa décision d’autoriser la démolition de la maison de Théophile et Emma (Marchand) Brunelle. Contrairement à la maison historique Brunelle, qui est en ruines, la maison Labatte demeure solide comme la famille métisse qui l’a construite. 

            Voici un autre rappel du peu de valeur accordée au patrimoine francophone et métis de la région. Dans le secteur huppé de la baie du Tonnerre, une propriété rasée a plus de valeur pécuniaire qu’une maison historique qui n’en a aucune.

            Je m’insurge contre cette recommandation qui permettra la destruction de cette perle rare de notre patrimoine collectif. La propriété Labatte a un rôle à jouer dans l’identité de notre communauté francophone et métisse. La valeur patrimoniale de la maison Labatte et de son terrain est incontestable. Si on ne peut pas protéger cette maison et son terrain d’exception qui commémore la vie des premiers habitants du canton, que pourrons-nous protéger à l’avenir ? 

            Comment le comité du patrimoine a-t-il pu retirer si facilement cette propriété du registre des structures patrimoniales quand son mandat est de valoriser notre patrimoine? Selon la documentation du canton, la propriété avait été inscrite au registre en raison de sa valeur contextuelle qui ajoute au caractère de villégiature de la zone de la baie du Tonnerre. La maison, qui conserve des éléments d’origine, constitue un exemple représentatif et ancien d’un style, d’un type et d’une méthode de construction. La propriété est aussi physiquement, fonctionnellement, visuellement et historiquement liée à son environnement par son association à la famille Labatte qui a contribué au développement de la région.

            L’importance de cette maison pour la communauté est bien connue. En plus de la plaque historique érigée (uniquement en anglais) devant la maison, les descendants des Labatte ont déjà organisé des journées portes ouvertes avec la collaboration des propriétaires. Visiter la maison en 2017 lors d’une de ces journées m’a permis d’apprécier la beauté du lieu. La maison était alors en très bon état. Le point de vue sur la baie à partir de la « cabane » juchée sur un terrain légèrement élevé rappelle la place importante de l’eau dans la vie des pionniers de la baie du Tonnerre. L’édifice, construit sur une fondation en pierre, enraciné dans ce sol depuis des générations, nous rappelle ces défricheurs qui ont habité et tiré leur subsistance du territoire avant qu’il ne devienne le terrain de jeu pour des touristes cossus. Visiter cette maison chaleureuse où il ferait bon vivre a renforcé mon lien avec les bâtisseurs de Lafontaine et ma fierté de compter parmi leurs descendants. 

            Peu à peu, les traces de notre communauté d’origine s’effacent. Nous serions à la fois ingrats et insensibles d’oublier ces fondateurs qui sont passés ici avant nous. 

            La préservation de la richesse patrimoniale représente un défi. Mais, si les membres du conseil municipal de Tiny comprennent jusqu’à quel point les habitants du canton tiennent viscéralement à leur patrimoine, ils auront refusé la demande de démolition des propriétaires de la maison Labatte et auront pris des mesures pour protéger et valoriser cette propriété, ce rare joyau de notre patrimoine collectif bien ancré dans l’histoire du nord du canton.

            S’ils ont décidé du contraire, une fois la maison déracinée, le terrain rasé, peut-être que les propriétaires auront la gentillesse de remettre la plaque historique qui figure fièrement devant la maison Labatte au conseil municipal pour qu’il puisse l’entreposer dans le placard et la dépoussiérer à l’occasion en souvenir du jour où il aura balayé un témoin de près de 200 ans de présence française et métisse du revers de la main.

L’avenir de la maison Labatte, un édifice presque bicentenaire d’une valeur patrimoniale inestimable, située au 89 West Shore Drive dans le secteur de la baie du Tonnerre à Lafontaine sera démoli à moins que les conseillers municipaux du canton de Tiny en décident autrement.