Joëlle Roy
George est le fils d’Alcide Robitaille et d’Oliva Vallée. Des cinq enfants, il est le second. La famille habitait à la baie du Tonnerre sur le chemin West Shore. Leur maison trônait toute seule au bout de cette route. On marchait une distance de .9 mille jusqu’à l’école qui est maintenant l’église de la baie.
Alcide provenait d’une famille de violoneux et il semblerait que c’était le meilleur. Il en a fait danser des pieds lors de veillées, de danses dans les salles ou encore dans les fêtes de maisons. Plus tard, il sera repêché par les Laramée de Penetang pour violoner dans les Georgian Bay Ramblers.
Dans cette maison musicale, Oliva exerçait sa magie de faire tout à partir de pas grand-chose. George n’a pas de souvenir d’avoir manqué de quoi que ce soit bien que les sous se faisaient rares. Oliva savait étirer un trente sous comme nulle autre. George est né en pleine dépression alors que l’électricité n’est qu’un souhait.
La baie du Tonnerre, avec tout son charme marin, marquait de moins bons scores pour la culture maraîchère. George se souvient que rien ou presque ne poussait dans le jardin. On persistait d’essayer pour si peu de résultat. Heureusement, l’oncle Alcime et la tante Alice Vallée avaient un grand jardin et un grand cœur pour le partager.
À l’école de la baie, plusieurs enseignants se sont succédé : Patrick McNamara, sa fille Marie-Rose, Justin Maurice et Méranda Marchildon. George y a complété sa huitième année pour poursuivre ensuite à l’école secondaire de Lafontaine où il a gradué avec son diplôme de douzième année. L’éducation devait être importante dans cette maison car à l’époque plusieurs jeunes restaient à la maison après la huitième année pour aider à la survie familiale.
Dès l’automne suivant, notre homme ira à Toronto travailler pour Federal Equipment à faire l’inventaire. Après les fêtes, il retourne aux études dans un collège spécialisé nommé DeVry Technical Institute. Cette formation respire des besoins de la décennie des 60 alors que la radio et la télévision transforment la société. Il s’agit d’un cours intensif qui dure de janvier à novembre.
Il passe alors le mois de décembre à chercher du travail à pied dans un froid qui ressemble davantage à janvier. C’était avant que l’expression «le dégel de janvier» apparaisse dans le langage météorologique. En janvier, on se les gelait bien d’aplomb! George trouve non seulement un bon boulot mais plutôt trois! On devait passer un examen médical avant d’entrer en fonction. C’est là que ça se gâte : il est daltonien! Il maîtrisait parfaitement l’emplacement des différents fils mais les patrons en jugent autrement. Le revoici à la case départ.
En janvier 1960, il réussit à entrer chez Motorola. Il s’installe dans une chambre de East York pour être près du travail. Dans peu de temps, il se retrouve dans un département spécial équipé d’une technologie de fine pointe. On y développe les stations du NORAD, cette association canado-américaine qui consiste à surveiller l’espace aérien dans le but de prévenir toutes attaques ennemies. On est déjà loin des carottes qui ne poussent pas à la baie…
Parlant du bercail, George revient à la baie toutes les fins de semaine. Il a besoin de respirer l’air frais et il continue d’aider à ses parents qui ne rajeunissent pas. Il restera chez Motorola jusqu’en octobre 63. Employé le mieux payé, il gagnait 1,85$ l’heure.
Il passe ensuite à une nouvelle compagnie qui s’appelle Unitel. Nous sommes dans les télécommunications et George deviendra rapidement superviseur de production. Encore une fois, on ne fabrique pas des «bebelles». On parle de système de contrôle à distance pour, entre autres, la radio et télédiffusion. Global TV était un de leur client. L’aventure Unitel se poursuit jusqu’en 1987.
La vie n’est pas que travail aussi important et fascinant est-il. Au début de cette dernière aventure professionnelle, le brillant informaticien qui vient fidèlement dans la région toutes les fins de semaine fera la rencontre de sa future épouse Ruth Chevrette de Penetanguishene. En 1965, ils se marient à l’église Ste-Anne. Deux fils viendront rapidement combler cette union: George junior et James.
À Toronto, on loue un appartement. Même en louant, la résidence n’est pas moins stable. Le logis loué à Scarborough en 1967 sera leur demeure jusqu’en 2005. Les visites à Lafontaine se font toujours à la maison familiale Robitaille et éventuellement George achètera la maison de ses parents.
Revenons à nos moutons hautement technologiques qui suivent la carrière de M. Robitaille. En 87, il s’embarque pour AEG Bailey qui sera ensuite acheté par Seimens. Ce géant est toujours au septième rang des plus grandes industries manufacturières au monde. Commençons par un exemple de l’ampleur de leurs commandes : les trieuses pour classer la poste. Ce contrat de 480 millions de dollars consiste à fabriquer cet outil qui sera utilisé à tous les bureaux de poste du Canada. On en fabriquera aussi pour la Nouvelle-Zélande, la Chine et l’Australie.
Son travail était apprécié au point de se voir confier des tâches spéciales où d’autres s’étaient plantés royalement. Par exemple, on lui demande de s’attaquer à la fabrication de boîtes de contrôle pour manipuler la douzaine de paquebots canadiens. Il s’agit de deux grosses boîtes de contrôle dont la deuxième vient à la rescousse si la première est défectueuse. On lui donne sept mois pour réussir l’exploit. Au bout du cinquième, sa mission est accomplie.
Beaucoup d’exploits couronnent cette formation de onze mois. Certes, il y aura quelques formations disparates ici et là mais nous constatons le travail d’un esprit supérieur. Son cerveau fertile assimilait et conceptualisait d’une efficacité peu commune. Malgré ce génie, il était le patron à qui les employés se confiaient facilement car il s’intéressait à eux. Sa réussite ne lui est jamais montée à la tête.
En 2005, l’heure de la retraite se pointe. La famille Robitaille revient définitivement à Lafontaine dans la maison familiale qui est maintenant à eux car Alcide et Oliva avaient pris un logis à Penetanguishene. Cette maison en question, au bout du West Shore, est construite en bois équarri. En 1940, après l’avoir trouvée, on l’a débâtie, déménagée et rebâtie à la baie du Tonnerre. Ce processus exigeait un entretien qui n’était pas de tout repos. Aux trois ans, il fallait refaire l’isolation entre les billots. Ce travail colossal, George l’a fait quatre fois pour ses parents et une fois après être devenu propriétaire.
On parle d’une retraite de l’industrie et du départ de la ville, car en 2005 c’est le début d’une autre carrière dans l’entretien de propriétés de la baie du Tonnerre. Il a eu jusqu’à vingt-cinq clients pour qui il entretenait les chalets et leur terrain, pour qui il ouvrait et fermait les résidences secondaires. Il ne reste qu’une cliente qui bénéficie des services de ce brillant homme.
La maison familiale a été vendue dans les dernières années. Les Robitaille habitent maintenant un beau bungalow de Toanche. On peut retenir de cette impressionnante histoire que les plus grands cerveaux n’apparaissent pas tous sur les timbres. George Robitaille est un secret bien gardé de la baie du Tonnerre.
Dans la photo on retrouve les cinq enfants d’Alcide et Oliva (Vallée) Robitaille: Peter, Hélène, Alice, George et Charles.